Obligations applicables aux professionnels, les bonnes pratiques à adopter en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux

Lutte contre le blanchiment, mesures à mettre en place

Evaluation et gestion des risques - obligations de vigilance, d'organisation et de coopération - mesures à mettre en place

Le mécanisme de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB/FT) concernait à l’origine le secteur bancaire puis financier.

Cependant, il suffit de se référer à la description du mécanisme de blanchiment (lire plus ici) pour constater que le risque d’être mêlé de près ou de loin à une opération de blanchiment ne se limite pas au secteur mentionné ci-dessus.

De nombreux professionnels peuvent être amenés par leurs activités à être confrontés à des opérations de blanchiment et ou de financement du terrorisme.

D’un point de vue théorique, toute transaction économique peut être liée à une opération de blanchiment de capitaux.

La loi du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, telle que modifiée (la « Loi » 1)  énumère dans son article 2 la liste des activités soumises au respect de ses obligations (la liste étant très large un renvoi à la Loi semble plus opportun pour des raisons de lisibilité et d’exhaustivité).

Soulignons néanmoins que le champ d’application de la Loi englobe notamment les professionnels suivants :

  • les professionnels du secteur financier;
  • le secteur des assurances;
  • les avocats et les notaires;
  • les professionnels de la comptabilité (comptables, réviseurs d’entreprises…);
  • les prestataires de services d’actifs virtuels;
  • les prestataires de services aux sociétés et fiducies;
  • Les business center;
  • les agents immobiliers et les promoteurs;
  • les marchands de biens (ex. vente automobile, œuvres d’art, bijouterie).

I. L’évaluation et la gestion des risques : clé de voûte du dispositif anti-blanchiment

Il est rappelé que les professionnels sont pleinement associés au processus de prévention et de lutte contre le blanchiment. Le législateur leur impose de contribuer activement au côté des autorités à la détection des opérations suspectes.

La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme est fondée sur une approche basée sur l’évaluation des risques.

Ce principe ressort notamment de l’article 2.2. de la Loi selon lequel,les professionnels prennent des mesures appropriées pour identifier, évaluer et comprendre les risques de blanchiment et de financement du terrorisme auxquels ils sont exposés”. Pour ce faire ils doivent tenir compte des facteurs de risques liés à leurs clients, pays ou zones géographiques, produits, services, transactions ou canaux de distribution.

Les professionnels doivent donc:

  • évaluer les risques auxquels ils sont exposés de par leur activité;
  • prendre des mesures appropriées pour gérer et atténuer ces risques;
  • coopérer avec les autorités et déclarer leurs soupçons lorsque cela s’avère nécessaire.

En cas de contrôle, c’est au professionnel de démontrer qu’il a rempli ses obligations (sur base de documents probants). Il est donc impératif de documenter et conserver chaque élément ayant fait l’objet d’une mesure de vérification.

La méthodologie à appliquer repose sur les trois piliers suivants : l’obligation de vigilance, la mise en place d’une organisation interne et l’obligation de coopération.

II. L’obligation de vigilance

L’obligation de vigilance entraîne pour le professionnel l’obligation d’accomplir un certain nombre de démarches. Selon les cas celles-ci devront être plus ou moins approfondies.

A. L’identification du client et la vérification de son identité (le cas échéant du bénéficiaire économique s’il est différent du client)

La vigilance doit être constante, en ce sens qu’elle s’applique avant l’entrée en relation d’affaires mais également au cours de cette relation. Il faut en effet veiller à ce que les opérations soient cohérentes au regard de la connaissance que le professionnel a de son client tout au long de la relation.

S’agissant des personnes physiques cette étape se réalisera dans la majorité des cas par la communication d’une pièce d’identité.

Les informations à recueillir comportent a minima, l’état-civil de la personne, son adresse et ses coordonnées de contact.

De plus si la personne physique est ressortissante d’un Etat tiers, il sera préférable d’obtenir une copie de son passeport.

Pour les clients qui sont des personnes morales, le professionnel identifie et prend des mesures raisonnables pour vérifier l’identité des bénéficiaires effectifs.

Il devra identifier la personne physique en obtenant les informations suivantes :

  • la dénomination;
  • la forme juridique;
  • l’adresse du siège social;
  • l’identification des organes de contrôle.

D’un point de vue opérationnel, il conviendra d’obtenir notamment, les statuts, un extrait de registre de commerce, registre des actionnaires la liste des signataires autorisés, et la preuve de leur nomination. Bien évidemment, il conviendra d’adapter la documentation requise aux circonstances de l’espèce (en ce sens que pour certaines structures juridiques plus complexes des documents additionnels seront nécessaires).

L’identification doit, sauf circonstances exceptionnelles, être réalisée avant l’entrée en relation d’affaires.

Selon le cas que l’entrée en relation d’affaires se fait en face à face ou à distance, des règles particulières viendront s’appliquer. Le professionnel ou une personne habilité devra certifier le document d’identification (exemple : certification de la pièce d’identité par une autorité publique en cas d’entrée en relation à distance).

B. Comprendre l’objet et la nature de la relation d’affaires

En pratique, ce point est bien souvent le plus délicat à traiter. En effet, chaque activité ayant ses particularités, il n’est pas possible de transposer une procédure d’analyse de risque d’une activité à une autre.

Par ailleurs, l’analyse de chaque relation commerciale requiert un traitement différencié. Ce point est souvent sous-estimé, les professionnels se bornant à systématiser le processus. En d’autres termes chaque situation doit être individualisée.

Chaque professionnel doit donc procéder selon sa propre méthodologie à l’identification des risques et à la classification des clients auxquels il estime être exposé dans la mesure où cette méthodologie est cohérente avec son activité, raisonnable et documentée.

Les annexes III et IV de la Loi présentent des listes non-exhaustives de facteurs de risques potentiellement plus ou moins élevés.

Parmi ceux-ci figurent notamment, les zones géographiques, les services concernés, les types de transaction.

Une fois les critères appliqués, le client pourra être classé dans une classe de risque plus ou moins élevée (permettant de justifier la légitimité de la relation d’affaires ou le cas échéant le déclenchement de contrôles plus poussés voire une déclaration d’opération suspecte).

Signalons encore que la Loi prévoit, sous certaines conditions, des obligations de vigilances simplifiées ainsi que des obligations de vigilance renforcées.

En effet si le client est une société cotée ou une entité publique les obligations seront de vigilance s’apprécieront avec moins de sévérité que s’il s’agit d’une société domiciliée dans un pays considéré comme à risque et pour laquelle il serait difficile d’identifier le ou les bénéficiaires économiques.

Il est évident que la classification d’un client dans l’une ou l’autre de ces catégories ne peut s’appliquer qu’une fois l’identification du client et l’évaluation des risques a été réalisée.

De plus il est nécessaire de justifier les choix qui sont opérés. En effet si une opération est considérée comme représentant un risque limité, il faut en indiquer les raisons par écrit.

C. Conserver les documents et effectuer un suivi de la vigilance

Les professionnels ont l’obligation de conserver les documents, données et informations collectés au titre de la lutte contre le blanchiment pendant une période de 5 ans.

Cette période s’apprécie à compter de la fin de la relation d’affaires.

Lorsque des relations d’affaires s’échelonnent dans le temps, le professionnel doit veiller à tenir à jour la documentation relative à l’identification et à la vérification de l’identité des clients et des bénéficiaires effectifs, ainsi que les travaux relatifs à la connaissance adéquate de son client, de ses activités commerciales, de son profil de risque, et de l’objet et la nature de la relation d’affaires.

Cette mise à jour est recommandée sur une base régulière et appropriée ou lorsque le professionnel a connaissance de changement(s) significatif(s). L’étendue de la mise à jour est fonction de l’approche basée sur les risques tels que définis par le professionnel dans ses procédures ainsi que sur le niveau de risque que représente le client.

III. L’obligation d’organisation interne

La Loi impose au professionnel de mettre en place des politiques, contrôles et procédures en vue d’atténuer et de gérer efficacement les risques liés à la LCB/FT.

Ces mesures doivent être proportionnées à la nature, aux particularités et à la taille des professionnels.

A. Disposer d’une procédure interne

Chaque professionnel doit mettre en place un manuel écrit détaillant les mesures mises en place afin d’évaluer et de prévenir les risques de blanchiment.

Il s’agit ici de recenser les facteurs risques, les évaluer, et adapter la surveillance au risque en fonction de la catégorie de risque que représente chaque client.

D’une manière générale la procédure interne à mettre en place doit décrire:

  • l’évaluation des risques, l’identification, la compréhension des activités et la surveillance des clients;
  • les mesures de vigilances applicables à la clientèle (acceptation de clients, détection des transactions atypiques ou suspectes);
  • la conservation des documents;
  • les modalités de coopération avec les autorité de contrôle;
  • la procédure d’embauche des salariés et les mesures prises en vue de leur formation (initiale et continue);
  • le contrôle interne du respect des obligations.

B. Nommer un responsable

En fonction de la taille de l’entreprise, il y a lieu (i) de désigner parmi les membres de la direction ou (ii) de nommer un responsable anti-blanchiment (KYC Officer) qui sera responsable du respect des obligations professionnelles en matière de LCB/FT.

Quelle que soit la personne responsable, celle-ci doit disposer d’un niveau élevé dans la hiérarchie et d’une indépendance adéquate.

Par ailleurs, la personne responsable doit disposer des ressources nécessaires afin de vérifier le respect des obligations qui s’imposent en matière de LCB/FT.

C. Former le personnel

Le professionnel se voit dans l’obligation de faire en sorte que ses employés aient connaissances des obligations professionnelles en matière de LCB/FT.

En pratique, l’employeur devra veiller à ce que les employés participent à des programmes de formation continue visant à les tenir informés des nouvelles évolutions, y compris des informations sur les techniques, méthodes et tendance du blanchiment et financement du terrorisme.

IV. L’obligation de coopération

La Loi pose le principe selon lequel  les professionnels, leurs dirigeants et employés sont tenus de coopérer pleinement avec (i) les organismes de contrôle et d’autorégulation et (ii) la Cellule de renseignement financier (CRF).

A. Autorités de contrôle et d’autorégulation

      • Identification

Selon les catégories de professionnels concernés une autorité  de contrôle ou d’autorégulation est compétente pour assurer un suivi effectif du respect par les professionnels des règles applicables en matière de LCB/FT.

A ces fins les différentes structures se voient reconnaître par la Loi certaines prérogatives :

  • la commission de surveillance du secteur financier (CSSF) est compétente pour le secteur financier;
  • l’administration de l’enregistrement et des domaines (AED) est compétente pour les agents et promoteurs immobiliers, comptables, conseillers économiques et fiscaux, business center, marchands de biens, prestataires de services non visés par une autre autorité spécifiques;
  • le commissariat aux assurances (CAA) est compétent pour le secteur des assurances;
  • l’un des ordre professionnels réglementant la profession des avocats, des notaires, des experts comptables, des réviseurs d’entreprises et des huissiers.
      • Pouvoirs

La Loi investit les organismes décrits ci-dessus de pouvoirs de surveillance et notamment :

  • d’avoir accès à tout document sous quelque formes que ce soit et d’en recevoir ou prendre copie (y inclus toute communications électroniques, données…);
  • de demander des informations à toute personne, et si nécessaire, de convoquer toute personne soumise à leur pouvoir de surveillance et de l’entendre afin d’obtenir des informations;
  • de procéder à des inspections sur place ou des enquêtes, y compris de saisir tout document, fichier électronique ou autre chose qui paraît utile à la manifestation de la vérité;
  • de requérir le gel ou la mise sous séquestre d’actifs auprès du Président du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg statuant sur requête;

Il semble évident que l’absence de coopération avec une autorité de contrôle ou d’autorégulation expose le contrevenant à de lourdes sanctions (lire plus ici).

Précisons également qu’en vertu de l’article 5-1 de la Loi, les autorités de contrôle et d’autorégulation sont tenues d’informer sans délai la CRF lorsqu’elles soupçonnent des infractions en matière de LCB/FT.

B. La CRF

La CRF a notamment pour mission de recevoir et d’analyser les déclarations d’opérations suspectes en relation avec la LCB/FT .

Elle a également pour tâche de se saisir le procureur d’Etat suite  la découverte de faits soupçonnés d’être des infractions en matière de LCB/FT. C’est ensuite le Procureur d’Etat qui est compétent pour déclencher des poursuites sur le volet pénal.

A côté de cela, la CRF dispose également d’un pouvoir de surveillance étendu.

      • Déclaration d’opérations suspectes

Selon l’article 5 (§1 point a) de la Loi, chaque professionnel est tenu d’informer CRF sans délai et à sa propre initiative de tout fait ou opération qui pourrait être indicateur de blanchiment et ou de financement du terrorisme.

Cette déclaration se fait au moyen d’une déclaration d’opération suspecte sur le portail GoAML L’inscription au portail GoAML n’est pas obligatoire en soit, cependant la validation de l’inscription prend un certain temps.

Il est donc vivement recommandé d’accomplir les démarches nécessaires aux fins d’inscription avant d’être confronté à une situation où il est nécessaire de faire une déclaration (cela permettra de faire la déclaration sans délai tel que le commande la Loi).

L’inscription au portail GoAML se fait via le site du ministère de la justice (inscription possible via ce lien).

Les professionnels ainsi que leurs dirigeants et employés ne peuvent pas révéler au client concerné ou à des personnes tierces que des informations “sont, seront ou ont été communiquées ou fournies”.

Il y a lieu de souligner que chaque déclaration d’opération suspecte réalisée par un professionnel est confidentielle. Ce plus la Loi prévoit également un régime de protection pour les personnes (y compris les employés et les représentants du personnel) pour avoir signalé un soupçon en matière de LCB/FT.

      • Demandes d’information de la CRF

Selon l’article 5 (§1 point b) de la Loi chaque professionnel est tenu de fournir sans délai à la cellule de renseignement financier, à sa demande, toutes les informations requises. Cette obligation comprend notamment la transmission des pièces sur lesquelles les informations sont fondées.

      • S’abstenir d’exécuter la transaction;

Les professionnels sont tenus de s’abstenir d’exécuter toute transaction qu’ils savent, soupçonnent ou ont des motifs raisonnables de soupçonner d’être liée à un blanchiment, à une infraction sous-jacente associée, ou à un financement du terrorisme avant d’en avoir informé la Cellule de renseignement financier.

La CRF peut donner l’instruction de ne pas exécuter les opérations en rapport avec la transaction ou avec le client. Lorsqu’il n’est pas possible de s’abstenir d’exécuter une transaction ou lorsque cela est susceptible d’entraver les efforts déployés pour poursuivre les bénéficiaires d’une opération suspecte, les professionnels concernés en informent ensuite sans délai la CRF.

Par ailleurs, le secret professionnel n’est pas opposable à la CRF, un manque de coopération avec cette institution expose son contrevenant à de lourdes sanctions.

En guise de conclusion, la Loi insiste clairement sur l’obligation faite aux professionnels de mettre en place les mesures nécessaires afin de satisfaire aux obligations précitées. Les autorités de contrôle quant à elles considèrent que ces objectifs doivent être atteints intégralement.

*** 

1 La version coordonnée de la loi du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme est disponible L_121104_blanchiment.pdf (cssf.lu)

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