Plateformes de E-commerce, un pas vers plus de transparence et d’équité

Plateformes de E-commerce (Amazon, Booking...) - compte vendeur suspendu ou résilié - recours en justice

Que faire pour un commerçant lorsque son compte auprès d’une plateforme de E-commerce (Amazon, Booking…) est suspendu, résilié où encore lorsqu’il se voit imposer des modifications de conditions générales défavorables ?

En raison de leur envergure et de leur notoriété auprès du public, certaines plateformes de commerce en ligne sont devenues incontournables pour les commerçants qui offrent leurs produits et services via internet.

Très souvent il s’agit de petites entreprises ou de commerçants indépendants dont l’activité et la viabilité financière dépendent largement d’une ou de plusieurs de ces plateformes.

S’il est des situations dans lesquelles l’éviction d’un commerçant peu scrupuleux d’une plateforme de commerce en ligne est légitime, il est des cas pour lesquels une telle situation peut s’avérer injustifiée.

En pratique, ce type de décision découle souvent d’un algorithme qui remplace l’analyse concrète de la situation par une personne physique. Par ailleurs, même en cas de traitement personnalisé, les services concernés font l’objet de nombreuses réclamations quant à leur manque de transparence et de disponibilité.

Jusqu’à peu, d’un point de vue juridique, les moyens d’action à disposition des utilisateurs (i.e. les commerçants) demeuraient fastidieux à mettre en œuvre. La faute à un manque de réglementation spécifique en la matière.

Sur ce point les choses évoluent à grands pas.

En effet le règlement (UE) n°2019/1150 dit P2B ou Platform To Business, (le « Règlement »1) est applicable depuis le 12 juillet 2020. Le législateur luxembourgeois a adopté le 5 mars 2021 une loi précisant certaines modalités d’application dudit Règlement (la « Loi »2).

En un mot le but du Règlement est de protéger des commerçants contre d’éventuels abus que pourraient commettre les plateformes de E-commerce qui jouent les intermédiaires entre les commerçants et les consommateurs. Pour que cette protection soit effective un recours en justice spécifique est désormais prévu.

Champ d’application

Il est un secret de Polichinelle que l’une des principales multinationales visées, sans être expressément citée par le Règlement, est le groupe Amazon.

Cependant le Règlement a un périmètre d’action beaucoup plus large et s’applique en présence de :

  • fournisseur de services d’intermédiation en ligne, c’est-à-dire les plateformes de commerce en ligne ou les moteurs de recherche (les fournisseurs de services3) ;
  • toute personne ou entreprise qui, par le biais de services d’intermédiation en ligne, offre des biens ou services aux consommateurs à des fins liées à son activité commerciale (les utilisateurs4).

S’agissant des services, ce sont ceux qui permettent aux utilisateurs des plateformes (les commerçants) de proposer des biens ou services aux consommateurs, en vue de faciliter l’engagement de transactions directes entre ces utilisateurs et des consommateurs. Ces services doivent être fournis sur base d’une relation contractuelle. La condition de rémunération n’est pour sa part pas exigée5.

A contrario le Règlement ne s’applique pas aux services de paiement en ligne, ni aux outils publicitaires en ligne, ni aux échanges publicitaires en ligne. Il ne s’applique pas non plus lorsque l’utilisateur agit dans un cadre non-professionnel (Airbnb, Leboncoin…).

Le Règlement s’articule autour de 3 axes principaux :

Renforcement de la transparence

Selon le Règlement, les conditions générales proposées par les fournisseurs de services doivent remplir les conditions suivantes :

  • être claires, compréhensibles et facilement accessibles ;
  • les motifs de suspension, de résiliation ou d’imposition de toute autre restriction, doivent être clairement définis ;
  • les principaux paramètres utilisés pour classer les biens et les services doivent être communiqués aux utilisateurs pour les aider à comprendre comment influer positivement sur leur classement. Lorsque le classement peut être influencé par une rémunération, les possibilités et les effets de cette rémunération doivent faire l’objet d’une description.

De plus, un certain nombre de communications doit désormais faire l’objet d’une transmission sur un support durable.

Lutte contre les pratiques commerciales déloyales

Afin de diminuer le déséquilibre existant entre les fournisseurs de services et les utilisateurs, le Règlement prévoit une série de garanties visant à protéger le commerçant au cas où la plateforme numérique déciderait de restreindre ou d’empêcher l’accès aux services qu’elle offre. Ces garanties englobent :

  • la communication des motifs : lorsqu’un fournisseur de services décide de restreindre ou de suspendre la fourniture de ses services à un utilisateur, il doit communiquer les motifs de cette décision au plus tard au moment où elle prend effet. En cas de résiliation des services, les motifs doivent être communiqués au moins trente jours avant que la résiliation ne prenne effet, sauf exception6 ;
  • le droit de donner sa version des faits, formuler des observations : en cas de restriction, de suspension ou de résiliation des services, l’utilisateur doit avoir la possibilité de clarifier les faits et les circonstances dans le cadre du processus interne de traitement des plaintes ;
  • droit de préavis : les changements des conditions générales ne peuvent être applicables qu’après l’écoulement d’un délai de préavis qui ne peut être inférieur à quinze jours.

Mise en place d’un système de résolution des conflits

Dans l’optique de favoriser le règlement extrajudiciaire des conflits, le Règlement impose aux fournisseurs de services de :

  • mettre en place un système interne de traitement des plaintes. Ce système doit être facilement accessible et traiter les demandes dans un délai raisonnable ;
  • prévoir un recours à des médiateurs impartiaux et indépendants afin de faciliter un règlement extrajudiciaire de tout litige qui pourrait exister avec les entreprises utilisatrices.

Vu les coûts de mise en place et de gestion de ces systèmes, le Règlement exempte de ces obligations tout fournisseur de services qui est considéré comme une petite entreprise7.

Un nouveau recours en justice rapide et effectif

Les garanties accordées par le Règlement risqueraient de s’avérer ineffectives à défaut de voies de recours appropriées. C’est pourquoi la Loi prévoit la possibilité d’introduire une action en cessation qu’un utilisateur pourra intenter contre un fournisseur de services qui ne respecterait pas les obligations du Règlement8.

Ce type de procédure présente un double avantage :

  • elle suit la forme de la procédure de référé garantissant ainsi un traitement rapide des dossiers ;
  • elle permet d’obtenir une décision sur le fond (et non une décision provisoire comme le sont en principe les décisions de référé).

La possibilité d’agir en justice est également reconnue, sous certaines conditions, à certaines organisations ou associations.

La Loi prévoit également que tout manquement aux injonctions ou interdictions découlant d’une décision de justice luxembourgeoise pourra être sanctionné par une amende pouvant aller jusqu’à 1 million d’euros9.

Notons finalement que la cadre juridique mis en place par le Règlement et la Loi est la première tentative ciblée par l’Union européenne de réglementation des grands opérateurs digitaux (les géants du numérique).

Cette démarche s’inscrit dans le cadre de réflexions menées sur l’émergence de l’économie digitale et les défis qu’elle pose en droit de la concurrence.

Le Règlement aura, à n’en pas douter, un impact très fort sur l’évolution des relations existantes entre les fournisseurs de services et leurs utilisateurs.

En effet, dans la mesure où désormais un risque de condamnation des fournisseurs de services est clairement identifié ceux-ci devront, si ce n’est pas déjà le cas, modifier leurs pratiques commerciales de manière significative afin de se conformer aux obligations qui leur incombent.

*** 

1 Règlement (UE) 2019/ du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne (europa.eu)

2 Loi du 5 mars 2021 relative à certaines modalités de mise en œuvre du règlement (UE) n° 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne. – Legilux (public.lu)

3 Les plateformes visées et moteurs de recherches sont principalement (mais pas que) ceux ayant une dimension mondiale. Le Règlement s’applique aux fournisseurs de tels services, qu’ils soient établis dans un État membre ou en dehors de l’Union, pour autant que deux conditions cumulatives sont remplies. La première est que les entreprises utilisatrices ou les utilisateurs de sites internet d’entreprise doivent être établis dans l’Union. La seconde est que les entreprises utilisatrices ou les utilisateurs de sites internet d’entreprise doivent proposer, grâce à la fourniture de ces services, leurs biens ou services à des consommateurs situés dans l’Union au moins pour une partie de la transaction (voir article 1 paragraphe 2 du Règlement) ;

4 Selon l’article 2, point 1) du Règlement il s’agit de : tout particulier qui agit dans le cadre de son activité commerciale ou professionnelle ou toute personne morale qui, par le biais de services d’intermédiation en ligne, offre des biens ou services aux consommateurs à des fins liées à son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ;

5 Pour plus de précisions il convient de se référer à l’article 2 point 2) du Règlement ;

6 Les diverses exceptions prévues au délai de préavis de trente jours découlent de l’article 4 paragraphe 4 du Règlement. Elles peuvent s’appliquer notamment (i) en cas d’obligation réglementaire imposée au fournisseur de services et (ii) en cas de contenu illicite ou inapproprié, de risques liés à la sécurité d’un bien ou d’un service, de contrefaçon, de fraude, de logiciels malveillants, de spams, de violation de données, d’autres risques en matière de cybersécurité ou de bien ou service non adapté aux mineurs ;

7 Sur ce point le Règlement renvoie à la recommandation 2003/363/CE laquelle définit une petite entreprise « comme une entreprise qui occupe moins de 50 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel ou le total du bilan annuel n’excède pas 10 millions d’euros » ;

8 L’article 2 de la Loi dispose que : « l’action en cessation est introduite selon la procédure applicable devant le tribunal des référés conformément aux articles 932 à 940 du Nouveau Code de procédure civile. Le magistrat présidant la chambre du tribunal d’arrondissement siégeant en matière commerciale statue comme juge du fond. Le délai d’appel est de quinze jours » ;

9 Article 5 de la Loi.

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Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur un des points développés ci-dessus, ou pour toute autre question, n’hésitez pas à nous contacter.

 

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