Expertise de gestion

Droit à l’information des associés - expertise de gestion (article 1400-3 LSC) - application aux sociétés à responsabilité limitée (oui) - application aux filiales étrangères (à nuancer) - conditions de mise en œuvre (précisions)

Le droit à l’information

Il est fréquent que des actionnaires minoritaires considèrent ne pas être suffisamment informés des activités menées par la société dont ils détiennent une portion du capital, leur rôle étant cantonné à l’approbation des comptes annuels.

En pratique, une telle situation peut créer des crispations voir de profondes et irrémédiables dissensions.

Afin de pallier les carences concernant l’information des associés minoritaires quant aux opérations menées par la société, il existe entre autres le mécanisme d’expertise de gestion.

L’article 1400-3 de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, telle que modifiée (la “LSC”) est venu modifier et renforcer le droit d’information des actionnaires minoritaires.

Le nouveau régime applicable découle de la réforme de la LSC intervenue durant l’année 2016. Cependant lors de son entrée en vigueur la doctrine était divisée sur le point de savoir si cette procédure concernait uniquement les sociétés par actions1, telles que les sociétés anonymes, ou si au contraire les détenteurs de parts sociales des sociétés à responsabilité limitée pouvaient également bénéficier de ce régime.

Sur ce point la jurisprudence a répondu par l’affirmative.

En effet dans le cadre d’un litige entre associés le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg a examiné une demande émanant de l’associé d’une société à responsabilité limitée. En l’espèce la forme sociale de la société n’a pas été considérée comme un frein à l’action2.

La même affaire a également eu le mérite d’apporter des précisions quant à la délimitation du périmètre géographique de l’expertise de gestion.

A ce titre, la juridiction saisie a admis la possibilité d’une expertise de gestion dès lors que des filiales étrangères d’une société-mère luxembourgeoise sont impliquées, mais dans une telle hypothèse, l’expert ne saurait être chargé d’une mission tendant à mener des investigations directement au niveau des filiales étrangères, mais la mission devrait se limiter aux éventuelles informations disponibles au niveau de la société-mère.

Cette décision semble parfaitement logique dans la mesure où une société étrangère dont, par hypothèse, les actes de gestion ne relèvent pas du droit luxembourgeois des sociétés, ne saurait faire l’objet d’une telle demande d’expertise devant les juridictions luxembourgeoises.

Champ d’application de l’expertise prévue par la LSC

Pour rappel l’expertise de gestion prévue par l’article 1400-3 de la LSC prévoit en substance la possibilité pour un ou plusieurs associés représentant au moins 10% du capital social de poser par écrit à l’organe de gestion des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société.

Cette possibilité s’étend aux sociétés contrôlées (en ce sens les sociétés soumises à l’obligation d’établir des comptes consolidés), et tel que mentionné ci-dessus, dans une certaine mesure à des sociétés étrangères.

A défaut de réponse dans un délai d’un mois il est possible de demander judiciairement la désignation d’un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur la ou les opérations de gestion visées dans la question écrite3.

L’expertise de gestion se déroule donc en deux phases, la première phase consiste en une demande d’information formulée par un associé à l’organe de gestion et en cas d’échec de celle-ci la seconde phase, quant à elle, se déroule au moyen d’une procédure judiciaire.

Les travaux parlementaires et la doctrine apportent quelques éclaircissements supplémentaires permettant de tirer les enseignements qui suivent.

La demande d’information doit porter sur une opération déterminée et ne saurait pas concerner la politique ou la stratégie globale de la société.

La demande d’information doit être utile pour l’associé qui en fait la demande et ne pas porter à l’intérêt social de la société.

Même si la précision semble superflue il y a lieu de souligner que la demande ne peut pas porter sur des informations qui auraient déjà été communiquées ou qui sont accessibles au public (site internet de la société, Recueil Électronique des Sociétés et Associations…).

Enfin, une réponse trop sommaire équivaut à une absence de réponse.

Précisions jurisprudentielles

En complément des points déjà mentionnés, la jurisprudence intervenue apporte certaines précisions4.

Des réponses données même tardivement, font qu’il n’y a plus lieu à expertise, du moment qu’elles fournissent toutes les informations que l’on peut attendre.

Seules les questions relevant de la compétence des organes de gestion sont admises. Par conséquent, ce qui relève de la compétence des assemblées d’actionnaires est exclu5.

Les questions posées doivent porter sur des actes de gestion, qui par définition concernent des actions qui se sont déjà produites. Il n’est donc pas possible de poser des questions sur des projections futures.

La jurisprudence semble également exiger que le demandeur établisse la preuve du caractère anormal de l’opération critiquée. Ce point semble être discutable ou à tout le moins nécessiterait quelques clarifications. En effet la demande trouve son origine dans un manque d’information, on peut donc se demander comment l’associé mal informé pourrait rapporter cet élément de preuve alors même qu’il est tenu à l’écart du processus décisionnel. Des indices précis justifiant une suspicion d’irrégularité devraient suffire.

Dans la plupart des cas, la portée de l’acte contesté est examinée par rapport à l’intérêt social, elle peut également être analysée par rapport à l’intérêt personnel d’un associé minoritaire (remplissant la condition de détention de 10% du capital social).

La désignation d’un expert chargé d’établir un rapport sur des opérations de gestion doit donc répondre à la réunion de certaines conditions à même de la justifier.

Cela semble tout à fait opportun dans la mesure où il convient de rappeler que l’intervention des juridictions dans la vie d’une société doit rester exceptionnelle et n’intervenir que dans des cas particulièrement graves.

De plus, il existe des cas de figure dans lesquels le secret des affaires impose une certaine confidentialité et la communication d’informations pourrait nuire à l’intérêt social de la société.

Il y a également lieu de noter que ces conditions préalables à l’instauration d’une expertise de gestion représentent des filtres efficaces afin de limiter le déclenchement de procédures judiciaires dont l’unique but serait d’entretenir des dissensions entre parties voir à les attiser.

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1 Voir notamment en ce sens : Précis de droit des sociétés, Alain Steichen, 6ème édition ;

2 Ordonnance 2018TALCH02/00732 rendue par la 1ère vice-présidente du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg en date du 27 avril 2018 ;

4 Les précisions jurisprudentielles mentionnées sont issues des décisions suivantes (I) l’ordonnance 2018TALCH02/00732 du 27 avril 2018 précitée et (ii) l’ordonnance n°1809/2016 rendue par le 1er vice-président du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg en date du 18 novembre 2016 ;

5 Pour illustrer ce point, ce qui est décidé par l’assemblée des actionnaires tel que l’approbation des comptes ne peut faire l’objet d’une telle procédure, en revanche le retard pris par l’organe de gestion dans la convocation de l’assemblée des actionnaires amenée à se prononcer sur l’approbation des comptes entre dans le champ d’application de la procédure visée par l’article 1400-3.

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